mercredi 31 décembre 2025

2 - À travers champs

Je passe mes journées à battre la campagne, courir la friche, traverser les champs, allant de villages en maisons isolées, de fourrés en bosquets, tant à la rencontre du gibier que des humains. Entre deux braconnages, je vais chez les curés, les paysans, les humbles et les notables aux hasards de mes pas pour y prendre le café, le vin fin ou la grosse gnôle. Ou pour n'importe quel autre prétexte justifiant que je foute mes bottes crotteuses dans leur foyer, des lapins encore chauds dans ma musette !
 
J'en profite pour colporter mes douces folies et récolter les dernières nouvelles du coin.
 
Je viens également me réchauffer l'hiver au pied du feu de mes hôtes en leur racontant des histoires effrayantes... C'est surtout pour cette raison, je crois, que ces gens aiment me laisser entrer chez eux le soir. Ils ont l'impression d'accueillir dans leur demeure trop ennuyeuse un invité extraordinaire : tantôt une légère hirondelle, tantôt une chouette antique. Voire un loup de la nuit.
 
Quand je me retrouve sous leur toit, les écrans s'éteignent et les cheminées s'allument. Pour eux c'est l'heure de toutes les légendes. Pour moi celle où je deviens un mage repus de bon pain, le temps d'une longue veillée sous la lueur de la flamme.
 
Je leur narre des merveilles pour les faire cauchemarder. Ils rient de mes fables, rêvent en écoutant mes contes inquiétants... Ils me retiennent souvent plus longtemps que prévu.
 
Tard dans la soirée je repars, le ventre plein, satisfait, fatigué et heureux. Il ne me reste plus qu'à chercher une grange pour dormir paisiblement dans le foin en compagnie d'un âne. Ou bien le lit d'une vieille fille pour y étendre follement mon ample carcasse de roi botté jusqu'au matin. Ecurie d'équidé ou chambre de demoiselle acariâtre, cela revient un peu au même : je m'entends bien avec les bêtes, qu’elles soient à cornes ou à dentelles.
 
Ma vie de vagabond est une incessante aventure champêtre, un interminable voyage local et floricole, un vol en plein vent ponctué de repos devant soit l'âtre de l'homme, soit le râtelier de l'herbivore... Je vais de fleurs en coeurs, de mottes de terre en grottes de bigotes, de cavernes d'ours en salons de notaires et de joyeux presbytères en hymens austères...

Mes semelles sont sans cesse en fête !