mercredi 31 décembre 2025

1 - Heureux comme un rat !

Avec ma barbe d'ogre, on me trouve aussi laid qu'un sanglier.
 
Mes grosses bottes de péquenaud me donnent l'air d'un croquemitaine. Entre carcasse de corbeau et face d'épouvantail, je viens d'un autre temps.
 
Je suis un rat des champs. Mais un vrai, pas une carte postale.
 
Mon air effrayant m'ouvre bien des portes.
 
Ainsi que tout bon braconnier, je sens la poudre des vieux fusils, le crottin de cheval et le parfum de mondaine. Parfois je pue la canaille et pique aussi fort qu'une ronce.
 
Les gens m'adorent.
 
Les hommes sont amusés par mes allures folkloriques, les femmes me regardent en frémissant et leurs chiens se taisent sur mon passage. Quant aux enfants, ils font de délicieux cauchemars en me voyant. Les chats me suivent volontiers, il faut dire que je les nourris généreusement !
 
Les vieilles filles douteuses rêvent de mes étreintes et les bigotes honnêtes se méfient de mon chapeau de paille. Nul ne sait jamais quel jour j'arrive dans une bourgade, m'attarde dans un taillis ou m'envole vers la ville. Tantôt on m'aperçoit près d'un puits, au bord d'un abreuvoir à vaches ou assis sur les racines d'un chêne, tantôt on me croise là où je de devrais pas être. Toujours avec la tête dans mes collets ou les pieds dans un ruisseau.
 
J'incarne les fables ancestrales qui continuent de hanter le quotidien des vivants. J'attire les audacieux, repousse les peureux. J'apparais le matin dans les rues des villages telle une chouette soudaine, disparais au crépuscule à tire d'ailes. Ou alors je passe la nuit dans une grange pour en sortir à l'aube, incognito.
 
Les gendarmes me connaissent comme le loup blanc dans la région. Ils comptent d'ailleurs parmi mes meilleurs amis : nous trinquons souvent ensemble à la sauvette, au gré des rencontres sur la route ou bien au détour des bosquets. Ils ferment généralement les yeux sur le gibier illégalement soustrait.
 
Je m'en vais vous raconter ma vie de bonne bête des chemins. Mais attention, je ne fais pas dans le chiqué pour plaire au public délicat des salons littéraires et aux lecteurs solitaires dans les chaumières... Non, moi je mouds du grain authentique, je fabrique du pain noir, du complet, du qui tient au corps et qui a du goût. Je n'appartiens pas à l'époque qui m'a vu naître, je viens de plus loin. Je tors le cou des lapins pris à mes pièges, mange les salades de pissenlits et bois l'eau de la poésie !

Mon royaume est celui de la liberté.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire